À Paris et dans sa banlieue, le business a pris une telle ampleur que ceux qui veulent se lancer dans la street food doivent parfois jouer plus que des coudes. Dans l’Eure, nous sommes encore loin de cet engouement pour les plats cuisinés dans de petits camions aménagés, les fameux food trucks.
Le département ne compte désormais, à notre connaissance, que deux camions-cuisine qui s’installent régulièrement sur les places des villages, voire dans les zones d’activités, contre cinq l’an dernier. Une présence si marginale que le site pouet-pouet.com, spécialisé dans les food trucks, n’en recense aucun. Les deux figurent en revanche sur tttruck.com.
Au piano et au volant
S’ils ont décidé de tenter l’aventure de cette restauration mobile qui tend à donner un coup de vieux au célèbre camion à pizza, la vie au piano et au volant n’est pas un long fleuve tranquille… « C’est difficile de se lancer, reconnaît Dominique Soupirot. Il faut trouver les bons emplacements, discuter avec les mairies et les entreprises pour qu’elles acceptent que l’on s’installe. La première année, je ne me suis dégagé aucune rémunération pour pouvoir payer mon salarié. Cette année, j’ai dû m’en séparer. »
Ancien agent commercial à Paris, où elle a découvert ce nouveau phénomène de consommation venu des États-Unis, cette Euroise a lancé le Truck normand il y a un an. Elle a investi 45 000 € pour mettre son projet en route.
Toujours innover
Attachée à proposer une cuisine à base de produits locaux, Dominique Soupirot ne compte pas ses heures : « Je travaille sept jours sur sept. Je fais le commercial, les courses, les recettes, la cuisine. Il faut toujours innover, détaille la quinquagénaire qui, visiblement, s’éclate dans son nouveau job. Les food trucks commencent à s’ancrer dans le paysage. Je suis notamment à Thiberville, Broglie, Bernay, Montreuil-l’Argillé, Broglie, Lieurey, devant la Chambre de métiers à Évreux… Les gens sont parfois lassés des camions à pizza. Avec notre cuisine, ils découvrent des plats originaux et des burgers cuisinés différents du Mc Do ! »
Les emplacements, la clé de la réussite
Pour autant, s’il n’y a pas pléthore de food trucks dans l’Eure, ceux qui veulent se lancer pourront-ils garantir leur gagne-pain ? « Peut-être à Évreux, suggère le chef du Truck normand. Mais avant de créer cette activité, il faut absolument avoir trouvé ses emplacements, conseille-t-elle. Beaucoup veulent se lancer mais il n’y a pas de place pour tous. »
Installé à Sainte-Colombe-la-Commanderie, Kévin Caleira a bien conscience que le défi à relever n’est pas aussi simple que de faire griller un steak haché. Mais, à 25 ans, cet Eurois qui a grandi au Neubourg semble avoir mûri son projet : « La moitié des maires que j’ai rencontrés m’autorisent à m’installer. D’autres, comme Pont-Audemer, m’ont retoqué, estimant que je pourrais faire concurrence à la restauration sédentaire. Or, ce n’est pas du tout mon créneau… »
Les petites campagnes
Un parcours de six ans dans la restauration, un passage d’un an et demi à Londres où il a découvert le food truck et l’envie de monter sa propre affaire ont convaincu ce jeune homme de lancer sur les routes L’artisan food truck : « J’ai trouvé le constructeur du camion. Je serai sur les zones industrielles de Nétreville (Évreux) et Conches-en-Ouche, au Neubourg, à Sacquenville, Amfreville-la-Campagne, Le Thuit-Signol, avec ma recette de porc mijoté et mes hamburgers fait camion. Les petites campagnes me tiennent à cœur car il n’y a plus de commerces. »
Mais avant de proposer tous les jours ses petits plats « simples, frais et travaillés avec des produits locaux », L’artisan food truck doit dégoter des financements. « J’ai un apport mais je lance bientôt une levée de fonds participative par le biais de KissKissBankBank. Mon projet coûte environ 70 000 € », annonce Kévin Caleira.
Certain qu’il y a encore de la place pour de nouveaux food trucks dans l’Eure, il s’imagine déjà, aux beaux jours, installer sa petite terrasse devant son camion. Comme un goût d’Amérique urbaine en pleine campagne…
G. Lejeune
Quand la sauce ne prend pas…
Avec son bus anglais rouge à impériale, Joachim Knitter incarnait le food truck le plus décalé de toute la Normandie.
Installés à Giverny en 2013, l’ancien chanteur d’opéra et son Croq’en bus se sont finalement retrouvés dans une impasse. L’aventure a pris fin en septembre 2015. « J’ai voulu désurbaniser le concept des food trucks mais il n’y avait pas la clientèle pour cette activité. Je proposais des plats très travaillés. On me demandait plutôt des frites et on voulait me payer en chèques-vacances », se souvient, avec une pointe de désolation, le quadragénaire aujourd’hui reconverti dans la vente de… camping-cars !
« Pour les bobos branchés »
Joachim Knitter le reconnaît sans détour : « Je me suis planté d’emplacement. Même si je faisais 50 à 60 couverts pendant la saison touristique et cosmopolite de Giverny, j’aurais dû aller à Levallois-Perret ou à Pontoise, des environnements urbains, ou à Val-de-Reuil, entre les grosses entreprises pharmaceutiques. »
S’il sortait de l’ordinaire et faisait le buzz, son bus de 15 tonnes pour 10 m de long s’est vite avéré un poids trop lourd. « Ce qui a bien fonctionné, ce sont les réservations sur les lieux de tournage de film ou de préparation de concerts. Je me suis bien éclaté mais j’ai foncé tête baissée. J’ai investi plusieurs dizaines de milliers d’euros avant d’avoir tâté le terrain pour trouver des emplacements. Dans l’Eure, les bassins d’emplois sont très disparates et les zones industrielles ont leurs restaurants. Le food truck, c’est vraiment pour la clientèle bobo branchée », témoigne Joachim Knitter. Son bus-restaurant poursuit son aventure en région parisienne avec un autre propriétaire.
« Dégage ! »
Pierrick Burlut a lui aussi connu l’échec, en 2014, avec son Bouche-à-oreille, qu’il installait à Évreux et Saint-Sébastien-de-Morsent notamment. « Je travaillais six jours sur sept, 240 heures par mois. Mais j’avais 5 000 € de dépenses mensuelles et il m’en rentrait autant. Sans trésorerie, sans salaire, j’ai tenu neuf mois », se souvient cet Ébroïcien.
S’il a pris un bouillon, Pierrick Burlut, qui proposait des plats traditionnels français cuisinés maison et à emporter chez soi, garde encore de bons moments en mémoire : « Les burgers marchaient très bien. J’avais fidélisé une clientèle de 50-60 personnes en soirée à Gravigny. »
Reste l’ardoise à éponger et les mauvais souvenirs : « Dans certains villages, le maire me disait de dégager car je faisais de la concurrence au boucher. Je n’ai jamais compris le rapport… »